ou le ciné m'a tuer

La bataille avait été rude et il fallait déjà repartir. Merrill inspectait ses maraudeurs. On était chez Fuller, avec ses Merrill's Marauders. Le général Merrill mâchouillait sa pipe mal embouchée, toujours à la recherche du prochain pas. Il passait en revue ses hommes épuisés. L'un agonisait, délirait. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ? Je l'ai vu tomber. Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?", expirait-il en agrippant le bras du général, les yeux fous. Et il est mort. "Est-ce que Lemtchek s'en est tiré ?" demanda le général. "C'était lui Lemtchek", lui répondit un de ses camarades.
Remplacer Lemtchek par cinéma.



5 janvier 2011

Au Dupieux les p'tits vieux

Déjanté, gonflé, à plat... les clins d'œil et appels du pied à l'imagerie du pneu ne manquent pas quand on parle du dernier film de Quentin Dupieux. À croire que l'argument se suffit à lui-même. Une histoire de pneu assassin. Mais on aurait tort d'aller trop vite et de résumer le dit Rubber à l'histoire d'un pneu tueur filmée avec un appareil photo par un drôle de zozio qui a fait un carton dans les années 90 avec un morceau d'électro minimaliste repris pour une pub de Levis. Approche dossier de presse. Merci.
L'intérêt du film en réalité est moins dans le pneu que dans le tricycle ; dans ce plan final, après que le pneu a été tué, où le tricycle (ou cycle de trois comme le nombre de films réalisés par Dupieux), entraînant derrière lui une armée de pneus, s'arrête au milieu d'un virage et lance un regard de défi aux grandes lettres blanches HOLLYWOOD qui surplombent la vallée du cinéma. Genre c'est vous les prochaines victimes. Alors Rubber revêt la forme pamphlétaire qu'il a esquivée jusque là. Alors, il donne du sens à une entreprise qui jusque là réfutait toute raison. Parce que le « no reason » du prologue est bien gentil, il est bien fun, cool Raoul, il ne va pas très loin et rime plutôt avec « à quoi bon ». À quoi bon faire un film s'il n'y a pas de raison à cela ? Il n'y en a peut-être pas pour le spectateur qui (doit) accepte(r) que le personnage principal soit un pneu, finalement comme il accepte que Schwarzy soit un terminator ou Orson Welles un magnat de la presse. Il y en a une en revanche pour Dupieux qui doit animer (donner une âme à) un objet inanimé. Le « No Reason », c'est encore une raison. Et la raison ici, c'est celle du cinéma. Celle d'un cinéma qui refuserait d'empoisonner ses spectateurs. Un antidote au cinéma hollywoodien, le retour d'une idée de cinéma véritablement indé, voire, étant donné la nationalité du film, une volonté d'alternative, enfin, à ce cinéma français dit d'auteur et qui nous emmerde avec ses honorés et autres Christophe. Rubber marque cette volonté, ce désir, mais il n'est pas encore cette alternative. Il en est la formulation qui fait espérer le prochain film de Dupieux. En attendant, il nous rappelle le célèbre adage de Lubitsch : filmer des montagnes, quand vous aurez appris à filmer la nature, vous saurez filmer les hommes. Le Nonfilm était, disons, un film qui n'existe pas. Steak était un film où les personnages passent la moitié du temps le visage bandé. Ici, Dupieux a fini de se faire les dents sur un pneu, passant du documentaire animalier (toutes les premières images du pneu filmé comme un faon à la naissance) au road movie existentialiste quand Robert, c'est le nom du pneu, assis dans le fauteuil d'une chambre de motel, regarde à la télévision une course d'Indy car. Prochaine étape : filmer les hommes. Alors, vivement le prochain Dupieux. Du neuf, bordel. Du nouveau.
Du Dupieux.

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